Déchirure

Un mélancolique temps de neige ; un ciel sale et couvert ; de gros flocons blancs perçant le gris fade des nuages et s’écrasant sur un sol gelés et recouvert d’un manteau de neige boueuse. Chacun de ces étoiles de givre venaient respiraient un peu de cet air empestant la putréfaction puis, venaient rejoindre ses compagnons sur le sol, nourrissant avec les corps morts, les racines des arbres centenaires : c’était une des fosses communes de l’Empire ; mais celle-ci n’était encore bouchée que par des piles de cadavres et non par de la terre...
Là, on pouvait voir une tête bouffie par une noyade ; ici, des moignons de jambes coupées à cause de la galle ; plus loin, une tignasse rousse cachant un peu le sourire suicidaire de son propriétaire ; à côté, un dos fouetté et rachitique... C’est le charnier de l’Empire.

Et un homme, un seul, se plaît contemplait ce sinistre spectacle. Malgré une forte fièvre qui, depuis plus d’une bonne semaine, l’affaiblie énormément, il ne peut s’empêcher de venir ici, voir tous ces corps froids, inertes, abandonnés.
On ignore pourquoi mais, il vient toujours enroulé dans d’épais vêtements qui lui recouvrent le corps, la tête et une partie du visage, son regard étant caché derrière de drôles de lunettes aux verres jaunis. Peut-être est-il, sous ses tissus, repoussant ; peut-être veut-il simplement garder son anonymat mais, toutes ces couches d’étoffes, lui déforment horriblement le corps : deux grosses bosses lui coincent le dos, deux autres, plus discrètes, lui poussent sur le crâne...
Personne ne sait exactement qu’il y est et se qu’il fait ici.

Des gamins racontent, pour se faire peur, qu’il serait, en fait, le fantôme d’un ancien tueur à gages qui serait tombé accidentellement dans une fosse communes. A l’intérieur, il aurait eut le cadavre de chacune de ses victimes, et réclamant vengeances, elles l’aurait tué. Depuis, l’esprit du tueur errerait et demanderait pardon à tous les morts des fosses communes... Rien de très rationnel, en somme.

A vrai dire, le seule véritable personne qui connaisse les raisons d’un si morbide manège, est sans doute, l’intéressé lui-même...
Il arrive tous les matins, à la même heure, et observe tous les nouveaux corps arrivés pendant la nuit. Il reste ainsi, pendant de nombreuses heures, sans un mot, sans rien faire...

Un jour, pourtant, il eut une réaction : un bras encore blanc, pointait le bout de sa main hors du tas de chair. Le délicat annuaire, à son bout, portait une élégante alliance en or.
Fébrilement, l’homme sauta dans la fosse et se pencha vers cette gracieuse main. Il l’observa pendant un long moment, puis s’osa à la toucher, à mêler ses doigts aux siens ; et le doute s’empara de l’individu...
Avec deux doigts, il attrapa le délicat annuaire et en retira l’élégante alliance en or et regarda les deux heureux noms gravés à l’intérieur...

Le choc fut terrible : l’homme, dans un rugissement de douleur, éclata en sanglots, baisant de ses lèvres brûlantes, cette petite bague au noms d’O’Wolf et de Lavri...

Misakith pendant une ballade dans une forêt avait entendu des cries. Le Trésorier avait fermé les yeux puis redressé légèrement la tête et écouté les bruits qui lui parvenaient pour essayer d’en déduire une direction. Cela lui prit quelques temps puis il rouvrit les yeux. D’un geste sec, il remit sa cape en place et marcha à pas rapide vers le lieu. Pendant cette avancée, Misakith ne pouvait s’empêcher de s’émerveiller devant cette nature encore fraîche et humide de la récente pluie qui avait arrosée les campagnes impériales.

Lorsque ‘il aperçu enfin la personne ayant poussé ces cries, il s’adossa contre un arbre et observa silencieusement l’action qui se déroulait devant ses yeux. Que faisait donc cet homme en ces lieux, pourquoi tenait entre ses mains ce bijou. Misakith s’inspira de l’air ambiant et humant légèrement une dernière fois l’odeur de la forêt. Il s’approcha et le contraste violent d’une odeur de chaire en décomposition emplit l’atmosphère.

-« Qu’est ce qui se passe.. ? Qui êtes vous et que faites vous ici ? »

Misakith posa sa main sur le pommeau de son épée et fixa l’individu. Il demeurait neutre par rapport à l’évènement qui se déroulait devant lui. Il ne souhaitait nullement l’arrêté mais en savoir davantage, cependant il devait assurer sa propre sécurité. Une personne de son rang ne pouvait disparaître aussi pitoyablement dans une forêt.

Entre deux pleurs, l’individu sursauta brutalement en se retournant sur lui-même. La surprise le fit tomber sur les fesses, les mains posées sur le bras si blanc et si pur qui sortait du charnier. Même si la couleur de ses yeux ne pouvait être identifiée, on pouvait lire dans son regard une peur indescriptible. La bague récupérée avait été lâchée et roulait sur les cadavres comme si elle tentait de fuir l’individu assis sur les morts.

Celui-ci ne réagit pas tout de suite : il semblait hypnotisé par l’homme qui se dressait en face de lui. Il l’effrayait, son emblème l’effrayait. Soudain, il remarqua que son bien doré avait disparu ; il se jeta littéralement sur les corps pour arrêter la course folle de l’alliance. Et il s’empressa de la cacher, en lui collant un baiser, sous sa chemise coincée sous toutes les couvertures qui le recouvraient des pieds à la tête.

Son petit manège lui fit relever la tête vers l’homme qui l’observait. Il l’avait vu et entendu, cela le compromettrait s’il apprenait qui il était vraiment sous ses vêtements. Et cela du être pourquoi il n’échangea aucune parole avec lui, juste des regards de proie prise entre les griffes d’un invincible agresseur.

Misakith continua d’observer l’individu qui se trouvait face à lui. Une chose demeurait étrange dans ses mouvements, il n’y avait aucune logique, aucune cohérence. Il semblait qu’il agisse simplement sous le joug de ses sentiments.
Le Trésorier s’avança alors lentement pendant que celui-ci s’était remis à la recherche de l’étrange objet qu’il tenait encore dans sa main quelques secondes plus tôt. Ses pas s’arrêtèrent quand O’Wolf reposa ses yeux sur lui.

-« Je vous ai posé.. quelques questions. Je vous prie d’y répondre.. »

Misakith le fixa sans un mot, pourquoi refusait il le dialogue, pourquoi agissait il ainsi, comment un sinistre individu pouvait pleurer et se montrer aussi froid après quelques instant.
Le regard de l’Impérial devint interrogateur.

- Je... Je...

Puis, plus rien. Sa main se porta à sa poitrine, là où devait pendre son alliance dorée. Sous ses sanglots, ses épaules se remirent à trembler nerveusement. Il renifla violemment, et ne parvient à balbutier :
- Je vous demande pardon, messire... Je vous demande pardon...

Il tomba sur les genoux et rampa un peu sur les rotules.
- ... Pardon...

Secoué par de violents pleurs, il posa son front par terre, s’agenouillant devant l’impérial
- Je vous demande pardon, Messire, je ne suis qu’un pauvre pécheur... Je vous demande pardon, de m’être si mal conduit envers mes proches.

Le pire dans cette situation, devait être que ce fou à l’air réellement sincère.

Le Trésorier s’avança alors lentement, il commençait lentement à comprendre la situation et l’odeur de mort le mettait de plus en plus mal à l’aise. Il saute d’un geste souple dans la fosse en contrebas, là où se tenait l’étrange individu. Ses pieds s’enfoncèrent légèrement dans la boue quelque peu humide puis Misakith remit sa cape en place.

-« Vanilius vous aurait donc volé un proche.. C’est douloureux, je le comprends, mais est ce vraiment la peine de s’enfermer dans le passé, Messire ? Ne pensez vous pas que si vous êtes encore vivant c’est qu’il vous reste encore des possibilités à exploiter ?

Je ne vous demande nullement d’oublier votre proche, mais de faire de votre expérience une force et non une faiblesse. Il faut continuer à vivre pour cette personne et se dresser face aux perspectives. »

Misakith lui tendit la main pour l’aider à se relever.

Ses épaules s'arrêtérent de pleurer, il releva la tête.
Derrière ses lunettes saugrenues aux verres jaunies, on pouvait entre-apercevoir des yeux reflétant de terribles regrets.

- Je...

Visiblement, les paroles de l'impérial avaient eu leur petit effet sur l'individu. A présent, il était à la proie d'un étrange dilemme. Sa raison et les pulsions de son coeur l'immobilisaient complétement et le coinçaient à prendre une décision.

En silence, il continua de fixer l'impérial.
Sa voix se fit soudain blanche:

- ... N'est-il pas ironique, pour une personne telle que moi, de croire en Dieu?

Et sans explication, il bondit sur ses jambes, sauta hors de la fausse commune et s'enfuya en courant.

Misakith ferma sa main alors que l’homme s’en allait. Celui-ci avait fait son choix et il ne s’agissait pas forcément du meilleur, néanmoins peut être qu’un jour il pourra alors retourner vers l’avenir et ne pas continuer à fuir vers le passé. Misakith prononça alors quelques paroles.

-« Il est toujours trop tôt.. »

Une fumée blanche sortait de sa bouche, la température venait étrangement de chuter dans les bois, un épais brouillard commençait alors à se former. Cette atmosphère onirique ne fit pas flancher l’homme qui redressa sa tête vers le ciel uni de blanc.

-« Pourtant.. c’est ainsi. »

Misakith pivota légèrement et se tourna dans le sens opposé d’où était parti l’homme. Il repartit en direction de la capitale de l’Empire.